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La Divine Providence, du Père Jean-Baptiste Saint-Jure 2


III


Pratique de la conformité à la Volonté de Dieu : on demande en quoi nous devons pratiquer la conformité à la Volonté de Dieu ? - Je réponds : en toutes choses. Nous devons, d'abord, faire ce que Dieu veut, observer avec fidélité ses Commandements et ceux de son Église, obéir humblement aux personnes qui ont autorité sur nous, remplir avec exactitude les devoirs de notre état. Nous devons, ensuite, vouloir ce que Dieu fait, accepter avec une soumission filiale toutes les dispositions de sa Providence. Nous nous arrêterons à quelques-unes, toutes les autres s'y rapportent.

1) Dans les choses et les événements naturels : ainsi, il faut nous accoutumer à souffrir pour l'amour de Dieu, en esprit de conformité à sa Volonté Sainte, les petites contrariétés journalières, telles qu'une parole pénible pour notre amour-propre, une mouche importune, l'aboiement d'un chien, une pierre que nous heurtons en marchant, une petite blessure que nous nous faisons par accident, ou par maladresse, une lampe qui s'éteint, un habit qui se déchire, une aiguille, une plume ou tel autre instrument de travail qui ne se prête pas ou se prête mal à l'usage que nous voudrions en faire, etc. Il est même, en un sens, plus important de bien s'appliquer à se conformer à la Volonté Divine dans ces petites contrariétés que dans les grandes et parce que les premières sont plus fréquentes et parce que l'habitude de les supporter chrétiennement dispose d'avance et naturellement à la résignation dans les grandes difficultés. Nous devons vouloir avec la Volonté Divine la chaleur, le froid, la pluie, le tonnerre, les tempêtes, enfin toutes les intempéries de l'air et le désordre apparent des éléments. Nous devons, en un mot, agréer tous les temps que Dieu nous envoie, au lieu de les supporter avec impatience et colère, comme on a coutume de le faire quand ils contrarient. Il faut éviter de dire par exemple : quelle chaleur insupportable ! Quel froid horrible ! Quel temps détestable, désespérant ! Le sort m'en veut ! C'est un vrai guignon ! Toutes ces expressions et autres semblables témoigneraient de notre peu de foi et de notre défaut de soumission à la Volonté Divine. Et non seulement nous devons vouloir le temps comme il est, puisque c'est Dieu qui l'a fait, mais nous devons encore, dans les incommodités que nous en éprouvons, répéter avec les trois jeunes Hébreux dans la fournaise de Babylone : froid, chaleur, neiges et glaces, foudres et nuées, vents et tempêtes, bénissez le Seigneur ; louez-le et glorifiez-le à jamais. C'est en accomplissant la très Sainte Volonté de Dieu que ces créatures insensibles le bénissent et le glorifient, et c'est par le même moyen que nous devons aussi le bénir et le glorifier. D'ailleurs, si ce temps nous est incommode, il peut être commode à un autre ; s'il nous gêne dans nos desseins, combien en est-il qu'il favorise dans les leurs ? Et quand cela ne serait point, ne nous suffit-il pas que ce même temps rende Gloire à Dieu, que ce soit Dieu qui le veuille de la sorte ? La vie de Saint-François de Borgia, troisième Général de la Compagnie de Jésus, nous fournit un bel exemple de cette conformité à la Volonté de Dieu dans les intempéries et les contretemps. Il se rendait par une neige très forte et très froide dans une maison de la Compagnie. N'ayant pu y arriver que bien tard dans la nuit, tout le monde se trouva couché et endormi et le Saint dut frapper et attendre assez longtemps à la porte. Lorsque enfin on vient lui ouvrir et qu'on se répand en excuses pour l'avoir fait attendre si longuement et par un temps si mauvais, il répond avec sérénité « qu'il a éprouvé une très grande consolation en pensant que c'était Dieu qui lui jetait ainsi cette neige à gros flocons ». Ces pratiques de conformité à sa Volonté sont si agréables à Dieu, que leur influence se fait souvent visiblement ressentir jusque sur les biens de ce monde. Témoin, ce laboureur dont il est fait mention dans la vie des Pères du désert. Ses terres rapportaient toujours plus que celles des autres. « Ne vous en étonnez pas - disait-il un jour à ses voisins qui lui en demandaient la cause - j'ai toujours toutes les saisons et tous les temps à souhait ». Surpris de cette réponse, ils le pressent d'expliquer comment cela peut se faire. « C'est - leur dit-il - que je ne veux jamais d'autre temps que celui que Dieu Veut, et comme je veux tout ce qui lui plaît, il me donne aussi une récolte telle que je la puis souhaiter ».

2) Dans les calamités publiques : nous devons nous conformer à la Volonté de Dieu dans toutes les calamités publiques, telles que la guerre, la famine, la peste ; révérer et adorer ses jugements avec une profonde humilité, et, quelque rigoureux qu'ils paraissent, croire avec toute assurance que ce Dieu d'infinie Bonté n'enverrait pas de semblables fléaux, s'il ne devait en résulter de grands biens. En effet, combien d'âmes sauvées par les tribulations, qui se seraient perdues par une autre route ! Combien qui, dans les traverses et les afflictions, se convertissent à Dieu de tout leur cœur et meurent avec un véritable repentir de leurs péchés ! Ainsi, ce qui nous paraît un fléau et un châtiment, est souvent une grâce et une Miséricorde insigne. Pour ce qui nous concerne personnellement, pénétrons-nous bien de cette vérité de notre Sainte foi, que tous les cheveux de notre tête sont comptés et qu'il n'en tombera pas un seul sinon par la Volonté de Dieu ; en d'autres termes, que la moindre atteinte ne nous sera jamais portée, qu'Il ne le Veuille et ne l'ordonne. Éclairés par la méditation de cette vérité, nous comprendrons aisément que nous n'avons ni plus ni moins à craindre, dans un temps de désastre public que dans n'importe quel autre temps, que Dieu peut fort bien nous mettre à l'abri de tout mal, au milieu de l'accablement général, comme il peut nous livrer à tous les maux, pendant qu'autour de nous chacun est dans la paix et la joie, que ce qui doit donc uniquement nous occuper c'est de nous rendre favorable le Dieu Tout-Puissant. Or, c'est là l'effet infaillible de la conformité de notre volonté à la sienne. Empressons-nous donc d'accepter de sa main tout ce qu'Il nous enverra. Cette disposition a plein pouvoir sur son cœur. Agréant notre humble et confiant abandon, ou bien Il nous fera retirer les plus précieux avantages des maux auxquels nous nous soumettons de la sorte, ou bien Il nous épargnera ces maux. En l'an 451, le farouche Attila, roi des Huns, envahissait les Gaules à la tête d'une armée formidable. Il s'appelait lui-même la Terreur du monde et le Fléau de Dieu, se considérant comme envoyé de Dieu pour châtier les crimes des peuples. Tout était mis à feu et à sang, livré au massacre, au pillage et à l'incendie. Un grand nombre de villes populeuses et florissantes avaient déjà succombé. Troyes allait avoir son tour et les habitants étaient plongés dans la consternation. Mais Saint-Loup, leur évêque, plaçant toute sa confiance dans la protection du Ciel, revêtit ses habits pontificaux et, précédé de la croix et suivi de son clergé, il alla trouver Attila. Admis en sa présence: « Qui êtes-vous - lui dit-il - vous qui ravagez ainsi nos contrées et troublez le monde du bruit de vos armes ? » - « Je suis le fléau de Dieu » - répondit Attila. - « Que le fléau de Dieu soit le bienvenu ! - dit alors le Saint - car, qui peut résister au fléau de Dieu ? ». Et il ordonna qu'on ouvrît les portes de la ville. Mais, à mesure que les Barbares y entraient, Dieu les disposait de telle sorte qu'ils la traversèrent sans faire aucun mal. Ainsi, remarque le P. Rodriguez, quoique Attila fut véritablement le fléau de Dieu, Dieu ne voulut pas qu'il remplît ce rôle à l'égard de ceux qui le recevaient comme son fléau avec tant de soumission.

3) Dans les difficultés et soucis domestiques : vous devez, si vous êtes père et mère de famille, conformer votre volonté à celle des enfants qu'il lui plaît de vous donner. Lorsque les hommes étaient animés de l'esprit de foi, ils regardaient une nombreuse famille comme un don de Dieu, comme une bénédiction du Ciel, et ils considéraient Dieu comme étant plus qu'eux-mêmes, le père de leurs enfants. Aujourd'hui que la foi est presque éteinte, que l'on vit, en quelque sorte, dans l'isolement de Dieu, que si l'on s'occupe de lui, c'est tout au plus pour le craindre, nullement pour se confier en sa Divine Providence, on est réduit à porter seul la charge de sa famille. Et comme les ressources de l'homme, quelque étendues et assurées qu'elles semblent, sont toujours bornées et incertaines, il n'est pas jusqu'aux plus favorisés de la fortune qui ne voient souvent avec effroi leurs enfants se multiplier. C'est là, pour eux, une sorte de calamité qui les attriste et les abat, une source intarissable d'inquiétudes qui empoisonnent leur existence. Oh ! qu'il en serait autrement si l'on se pénétrait de l'idée que l'on doit avoir de l'action paternelle de Dieu sur ceux qui se soumettent à sa conduite avec l'abandon d'une confiance filiale ! Voulez-vous vous en convaincre ? Prenez les sentiments de cette piété filiale et bientôt vous expérimenterez ce que disait Saint-Paul, de ce Dieu de Bonté, qu'il est assez Puissant pour répandre sur vous toutes sortes de biens, et avec tant d'abondance, qu'ayant en tout temps et en toutes choses tout ce qui suffit à vos besoins, vous ayez encore abondamment de quoi exercer toutes sortes de bonnes oeuvres. Pour attirer sur vous ces effets de la Divine Providence, vous n'avez à vous mettre en peine que de concourir, en quelque sorte, à la paternité de Dieu même, en lui formant surtout par vos bons exemples, des enfants selon son Cœur. Ayez le courage de vous défendre de toute autre ambition, que ce soit là l'unique objet de tous vos voeux, de toute votre sollicitude ; puis, reposez-vous en pleine assurance, vous le pouvez, quel que soit le nombre de vos enfants, sur les soins attentifs de leur Père Céleste. Il veillera sur eux, il gouvernera leur cœur, il disposera toutes choses pour assurer leur bonheur, même dès ici-bas, et il le fera d'une manière d'autant plus admirable que vous saurez plus fidèlement vous préserver de toute vue mondaine à leur sujet, et remettre sans réserve leur avenir entre ses mains. Évitez donc bien de vous préoccuper, par rapport à vos enfants, d'autre chose que de ce qui peut contribuer davantage à les former à la vertu. Pour le reste, les confiant tous au Seigneur, ne vous réservez que d'étudier sa Volonté sur eux, afin de les aider à marcher dans la voie où vous aurez reconnu qu'Il les appelle, que cette voie soit celle de la retraite ou celle du monde et croyez que, dans le monde comme dans la retraite, il saura admirablement tout concilier à votre satisfaction dans le temps convenable, dès que vous pourrez vous rendre le témoignage que votre unique ambition est réellement de plaire à Dieu, et d'élever vos enfants pour Lui. Ne craignez pas, dans cette disposition, de porter jamais trop loin votre confiance ; efforcez-vous plutôt de l'accroître encore, de l'accroître toujours car elle est le plus glorieux hommage que vous puissiez rendre à Dieu et elle sera la mesure des grâces que vous recevrez. Il vous sera donné peu ou beaucoup, selon que vous aurez peu ou beaucoup espéré.

4) Dans les revers de fortune : nous devons recevoir, avec la même conformité à la Volonté Divine, les privations d'emplois, les pertes d'argent et tous les autres dommages que nous éprouvons dans nos intérêts temporels. Vous évince-t-on d'une place honorable et avantageuse ? Vous prive-t-on d'un emploi lucratif sans lequel vous aurez peine à subvenir à vos besoins et à ceux de votre famille ? Répétez avec foi la parole de Job : Le Seigneur me l'avait donné, le Seigneur me l'a ôté ; il est arrivé comme il a plu au Seigneur ; que son Nom soit béni ! Qu'importe le motif auquel ont obéi ceux qui se sont faits les instruments de vos revers ? La volonté d'Absalon, les outrages de Séméi étaient dirigés contre David dans un but, dans une pensée politique, ce qui n'empêcha pas le Saint roi de tout attribuer, avec raison, à la Volonté du Seigneur, comme nous l'avons vu plus haut. Les malheurs de Job lui furent suscités par le démon à cause de ses sentiments religieux. Combien de généreux chrétiens, pour leurs opinions religieuses, leur foi en Jésus-Christ, furent, au temps des persécutions, dépouillés de leurs grades militaires ou de leurs fonctions civiles, dépossédés de leurs biens, arrachés à leurs familles, jetés en exil, livrés aux bourreaux ! Bien loin de s'en plaindre, ils s'en allaient, à l'exemple des apôtres, remplis de joie d'avoir été jugés dignes de subir ces outrages pour le Nom de Jésus. Quel que soit donc le prétexte des persécutions que l'on vous fait endurer, et surtout si la raison en est dans la haine de vos sentiments religieux, acceptez tout sans hésiter comme venant de la main paternelle et intelligente de votre Père qui est au Ciel. Il en sera de même pour les questions d'argent ; si, par exemple, vous vous trouvez contraint de faire quelque paiement que vous croyez injuste, soit pour tel objet que vous êtes forcé de payer une seconde fois, faute de pouvoir justifier d'un premier paiement, soit pour acquitter les dettes follement contractées par un autre dont vous êtes naturellement ou dont vous vous êtes, par complaisance, constitué garant ; soit pour solder quelque impôt exagéré, inique, destiné au gaspillage, soit enfin de toute autre manière. Si l'on a pouvoir d'exiger ce paiement de vous et si l'on use de ce pouvoir, c'est Dieu qui le Veut ainsi ; c'est Lui qui vous demande cet argent et c'est bien réellement à Lui que vous le donnez quand vous acceptez en esprit de soumission à sa Divine Volonté, la contrainte qui vous est faite. Oh ! que de grâces sont assurées à quiconque agit de la sorte ! Supposez deux personnes : l'une, par esprit de conformité à la Volonté de Dieu, exécute un paiement peut-être exagéré, peut-être même tout à fait injuste, mais que l'on est en mesure d'exiger d'elle ; l'autre, de son propre choix et de sa libre volonté, consacre une sommé égale en aumônes. Eh bien ! sachez-le, quelques admirables avantages que l'aumône procure même dès cette vie à ceux qui la font, l'acte de la personne qui fait le sacrifice de son argent, non de son propre mouvement, non en faveur de quelqu'un de son choix, mais par esprit de conformité à la Volonté Divine, est une œuvre plus profitable encore, parce que, étant dégagée de toute volonté propre, elle est plus pure, plus agréable aux yeux de Dieu, et s'il est vrai de dire, d'après l'expérience de tous les siècles, que l'aumône attire sur les familles les plus abondantes bénédictions, l'on peut bien, sans exagération, attribuer à l'œuvre plus excellente dont nous parlons des fruits plus merveilleux encore.

5) Dans la pauvreté et ses circonstances : nous devons nous conformer à la Volonté de Dieu dans la pauvreté ainsi que dans les suites incommodes qu'elle entraîne et une telle conformité nous coûtera peu, si nous sommes pénétrés comme nous devons l'être de cette vérité, que Dieu veille sur nous comme un père sur ses enfants, qu'il ne nous réduit dans un tel état que parce qu'il nous est le plus avantageux. Alors la pauvreté changera d'aspect à nos yeux ; ou plutôt, n'envisageant les privations qu'elle nous impose que comme des remèdes salutaires, nous cesserons même de nous trouver pauvres. En effet, qu'un roi puissant soumette l'un de ses enfants dont la santé est altérée à un régime sévère, mais nécessaire à son rétablissement, le jeune prince conclura-t-il de ce qu'on l'oblige à vivre d'aliments insipides et en faible quantité, qu'il est réellement en proie à l'indigence ? Concevra-t-il, pour l'avenir, des inquiétudes à l'endroit de sa subsistance ? Quelqu'un s'avisera-t-il de penser qu'il est pauvre ? Non, assurément. Tout le monde sait quelles sont les richesses de son père, qu'il est lui-même appelé à en jouir et que cette jouissance cessera de lui être interdite, dès que sa santé permettra qu'il en use sans s'incommoder. Et nous, ne sommes-nous pas les enfants du Très-Haut, du Tout-Puissant, les cohéritiers de Jésus-Christ ? À ce titre, est-il quelque chose qui puisse nous manquer ?... Oui, disons-le hardiment, quiconque voudra répondre à cette divine adoption, par les sentiments d'amour et de confiance qu'exige de nous la noble qualité d'enfants de Dieu, a droit, dès ce moment, à tout ce que Dieu lui-même possède. Tout alors est à nous. Mais il n'est pas expédient que nous jouissions de tout, il est même souvent à propos que nous soyons privés de beaucoup de choses. Gardons-nous de conclure de ces privations qui nous sont imposées seulement comme des remèdes, que nous puissions jamais manquer de ce qu'il nous serait avantageux d'avoir ; croyons en toute assurance que, si quelque chose nous devient nécessaire ou même vraiment utile, notre Père tout-puissant nous le donnera infailliblement. Notre Divin Sauveur disait aux foules qui l'écoutaient : si vous-mêmes, tout méchants que vous êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison votre Père qui est dans les Cieux. C'est là une vérité incontestable de notre sainte foi et nos inquiétudes sur ce point, si nous manquions de fidélité à les désavouer, seraient d'autant plus coupables et injurieuses à Jésus-Christ qu'Il nous a fait, à ce sujet, les promesses les plus positives consignées en plusieurs endroits du Saint Évangile. Ne vous inquiétez point, nous dit-il, pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps comment vous le vêtirez. Regardez les oiseaux du ciel ; il ne sèment pas, ne moissonnent pas, n'amassent pas dans les greniers, et votre Père céleste les nourrit. Est-ce que vous ne valez pas plus qu'eux ? Et quant au vêtement, pourquoi êtes-vous inquiets ? Considérez les lis des champs, ils croissent. Ils ne travaillent ni ne filent ; or, Je vous dis que Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n'était pas vêtu comme l'un d'eux. Mais si Dieu vêt ainsi l'herbe des champs qui est aujourd'hui et demain sera jetée au feu, avec combien plus de soin vous vêtira-t-Il, hommes de peu de foi ! Ne vous inquiétez donc point en disant : que mangerons-nous ou que boirons-nous ou de quoi nous vêtirons-nous ? Car les païens s'inquiètent de toutes ces choses ; mais votre Père sait que vous en avez besoin. Sa Parole est engagée et elle est sous cette seule condition que nous cherchions premièrement le Royaume de Dieu et sa Justice, que nous fassions de cette recherche notre grande, notre principale, notre unique affaire, c'est-à-dire que nous rapportions toutes les autres affaires à celle-là, les faisant toutes concourir à son succès, remplissant tous nos devoirs dans cette vue. À ce prix, il nous décharge de toute sollicitude, il prend sur lui tous nos besoins, tous les besoins de ceux qui nous appartiennent ou qu'il nous faut pourvoir, et il y satisfera avec des soins d'autant plus attentifs que nous nous efforcerons de lui témoigner plus de confiance et d'abandon, que nous pratiquerons plus parfaitement la conformité à ses Volontés. Et d'ailleurs, renonçons-nous pour son amour au désir de posséder les biens périssables de ce monde ? Voilà qu'en vertu d'une autre promesse de Jésus-Christ, le centuple de ces biens, outre la vie éternelle, nous est assuré pour ici-bas et il arrivera, par un mystère ineffable, que nous serons riches tandis qu'on nous jugera pauvres. Délivrés de la soif des richesses, de leur possession elle-même et du fardeau qui l'accompagne, nous jouirons d'une paix, d'un contentement délicieux, inconnus de ceux qui semblent posséder les richesses et qui plutôt possédés par elles n'en ont réellement que les charges et les soucis. De la sorte, se vérifiera pour nous cette parole du grand Apôtre que la piété a les promesses de la vie présente, comme celles de la vie future.

6) Dans les adversités et les humiliations : nous devons nous conformer à la Volonté de Dieu dans l'adversité comme dans la prospérité, dans les humiliations comme dans les honneurs, dans les opprobres comme dans la gloire. Nous devons recevoir toutes choses, embrasser toutes choses comme étant les dispositions que la Providence nous ménage, pour que nous rendions à Dieu, par notre soumission, l'honneur qui lui est dû et qu'en même temps nous parvenions en toute sûreté, à notre plus grand bien. Lorsque David sortit de Jérusalem pour échapper à la persécution de son fils Absalon, le grand-prêtre Sadoc fit porter à sa suite l'Arche d'Alliance, afin qu'elle servît au roi de sauvegarde en un péril si imminent et fût un gage de son heureux retour. Mais le Saint roi dit au grand-prêtre de faire reporter l'Arche dans la ville, parce que le Seigneur l'y ferait bien rentrer lui-même, s'Il le Voulait ; puis il ajouta : si, au contraire, le Seigneur me dit : tu ne me plais pas, J'ai retiré de toi mon affection, Je ne veux plus que tu règnes sur mon peuple, Je veux te dépouiller de la pourpre pour en revêtir ton ennemi, te chasser du trône pour l'y faire asseoir et le couronner de gloire, je suis prêt, qu'il fasse de moi selon qu'Il lui plaira. Ainsi devons-nous dire en ce qui nous concerne, et quelle que puisse être la circonstance où nous nous trouvions. Gardons-nous surtout de repousser cette pratique sous le spécieux prétexte que nous ne sommes pas capables d'une résignation aussi héroïque ; c'est Dieu lui-même, en effet, qui l'opérera en nous, pourvu que nous n'opposions point à sa grâce une résistance qui y mette obstacle. C'est ce qu'avait bien reconnu le saint vieillard dont parle Cassien. Se trouvant un jour à Alexandrie, environné de nombreux infidèles qui le couvraient d'injures, le poussaient, le frappaient, en un mot l'accablaient d'outrages, le saint homme se tenait au milieu d'eux comme un agneau, endurant tout sans murmurer ni se plaindre. Quelques-uns lui ayant, par mépris, demandé quels miracles avait faits Jésus-Christ : « Il vient d'en faire un, répondit-il, c'est que tous vos outrages n'ont pas réussi à m'irriter contre vous et que même je n'en ai pas été ému le moins du monde ».

7) Dans les défauts naturels : notre conformité à la Volonté Divine doit s'étendre aux défauts naturels, même de l'âme. Il faut, par exemple, ne point s'affliger, ni murmurer, ni regretter de n'avoir pas une aussi bonne mémoire, un esprit aussi pénétrant, aussi subtil, un jugement aussi formé, aussi solide que les autres. Nous nous plaindrions donc du peu qui nous est échu en partage ! Mais avons-nous mérité ce que Dieu nous a donné ? N'est-ce pas un pur don de sa Libéralité, dont nous lui sommes grandement redevables ? Quels services a-t-Il reçus de nous, pour nous mettre au rang des hommes, plutôt que dans telle catégorie de créatures plus viles ? Et même avions-nous fait quelque chose pour l'obliger à nous donner seulement l'existence ? Mais ce n'est point assez de ne pas murmurer. Nous devons, de plus, être contents de ce qui nous a été départi et ne rien désirer davantage. En effet, nous avons suffisamment, puisque Dieu l'a ainsi jugé. De même que l'ouvrier donne à ses instruments les dimensions et les autres qualités propres à l'ouvrage qu'il veut faire, de même aussi Dieu nous distribue l'esprit et les talents selon les desseins qu'il a sur nous. L'important est de bien employer ce qu'Il nous donne. Ajoutons qu'il est fort heureux pour plusieurs de n'avoir que des qualités médiocres, des talents bornés. La mesure que Dieu leur en a donnée les sauvera, tandis que, mieux partagés, ils se fussent perdus ; car la supériorité des talents ne sert bien souvent qu'à entretenir l'orgueil ou la vanité et elle devient ainsi, pour beaucoup, une occasion de ruine.

8) Dans les maladies et les infirmités : nous devons nous conformer à la Volonté de Dieu dans les maladies et les infirmités, vouloir celles qu'Il nous envoie, les vouloir et dans le temps qu'elles viennent et pour le temps qu'elles durent, en vouloir toutes les circonstances, sans désirer qu'une seule soit changée et cependant faire tout ce qui est raisonnable pour guérir, parce que Dieu le Veut ainsi. « Pour moi - dit Saint-Alphonse - j'appelle le temps de la maladie, la pierre de touche de l'Esprit ; car c'est alors que l'on découvre ce que vaut la vertu d'une âme ». Si donc nous sentons que la nature veuille s'émouvoir, s'impatienter, se révolter, il faut réprimer de tels mouvements et même nous humilier profondément de ces tentatives de révolte contre notre Souverain et de notre opposition à ses justes et adorables arrêts. Saint-Bonaventure rapporte que Saint-François d'Assise, étant fort tourmenté par une maladie qui lui causait des douleurs aiguës, un de ses religieux, homme simple, lui dit : « mon Père, priez Notre-Seigneur de vous traiter un peu plus doucement ; car il me semble que sa main s'appesantit trop sur vous ». Le Saint, entendant ces paroles, poussa un cri et apostropha ainsi le pauvre religieux : « Si je ne savais que ce que vous venez de dire est l'effet d'une simplicité qui n'y entend point de mal, j'aurais dès ce moment votre conversation en horreur et je ne voudrais plus vous voir, puisque vous avez été assez téméraire pour blâmer les jugements que Dieu exerce sur moi ». Alors et bien qu'il fût extrêmement faible par suite de la durée et de la violence de son mal, l'homme de Dieu se jeta rudement de sa pauvre couche à terre, au risque de se rompre les os et baisant le pavé de la cellule : « je vous remercie, mon Seigneur - dit-il - de toutes les douleurs que Vous m'envoyez ; je Vous supplie de m'en donner cent fois davantage, si Vous le jugez à propos, je serai plein de joie, s'il Vous plaît de m'affliger sans m'épargner en aucune façon, parce que l'accomplissement de Votre Sainte Volonté est pour moi la consolation suprême ». Et, en effet, si, comme l'observe Saint-Ephrem, les hommes les plus grossiers connaissent les fardeaux que leurs chevaux ou leurs mulets peuvent porter et ne leur en imposent pas de trop lourds, pour ne point les accabler ; si le potier sait combien de temps son argile doit rester au four, pour être cuite à un point qui la rende propre à nos usages et ne l'y laisse ni plus, ni moins, il faudra nécessairement n'avoir conscience ni de ses pensées ni de ses paroles, pour oser dire que Dieu qui est la Sagesse même et qui nous aime d'un Amour infini, peut charger nos épaules d'un fardeau trop pesant et nous laisser plus longtemps qu'il ne faut dans le feu de la tribulation. Soyons donc sans inquiétude, le feu ne sera ni plus vif, ni de plus de durée qu'il n'est besoin pour cuire notre argile au degré nécessaire.

9) Dans la mort et ses circonstances : nous devons porter la conformité à la Volonté de Dieu jusqu'à l'acceptation de notre mort. Nous mourrons, c'est un arrêt auquel il n'y a point d'appel. Nous mourrons le jour, à l'heure et du genre de mort que Dieu voudra, et c'est cette mort, telle qu'Il nous l'a destinée, que nous devons agréer, parce que c'est celle qu'Il a jugée la plus convenable à sa Gloire. Un jour que Sainte-Gertrude montait une colline, son pied glissa et elle roula dans la vallée. S'étant relevée saine et sauve, elle remonta joyeusement la colline en disant : « très aimable Jésus, que c'eût été un grand bonheur pour moi, si cette chute m'eût donné le moyen de parvenir plus tôt à Vous ». Ses compagnes, qui l'entouraient, lui demandèrent alors si elle n'avait pas craint de mourir sans être munie des sacrements. « Oh ! - répondit la Sainte - je désire, à la vérité, de tout mon cœur, les recevoir dans ce dernier moment, mais j'aime encore mieux la Volonté de Dieu ; car je suis persuadée que la meilleure disposition et la plus sûre pour bien mourir c'est de se soumettre à ce qu'Il voudra. C'est pourquoi la mort par laquelle Il veut que j'aille à Lui est celle que je désire et j'ai la confiance qu'étant ainsi disposée, de quelque manière que je meure, sa Miséricorde viendra à mon secours ». Bien plus, d'illustres maîtres de la vie spirituelle enseignent, avec Louis de Blois, que celui qui, à l'article de la mort, fait un acte de parfaite conformité à la Volonté de Dieu sera délivré, non seulement de l'enfer, mais encore du purgatoire, eût-il commis à lui seul tous les péchés du monde. « La raison en est - ajoute Saint-Alphonse - que celui qui accepte la mort avec une parfaite résignation, acquiert un mérite semblable à celui des martyrs qui ont donné volontairement leur vie pour Jésus-Christ. Et celui-là, en outre, meurt content et joyeux, même au milieu des plus vives douleurs ».

10) Dans la privation des grâces extérieures : nous devons pratiquer la conformité à la Volonté de Dieu dans la privation des moyens de Salut extérieurs ou sensibles qu'Il lui plaît de nous retirer. Par exemple, un directeur ou un ami qui vous guide et vous encourage vous est enlevé. Il vous semble que, privé de son secours, vous ne pouvez plus vous soutenir. Et, en effet, il y a dans ce que vous éprouvez quelque chose de vrai, c'est que réellement vous êtes incapable de marcher seul ; un secours vous est indispensable, et voilà pourquoi ce sage directeur, cet ami vous avait été donné. Mais Dieu, vous Aime-t-Il moins, aujourd'hui, qu'Il ne vous Aimait lorsqu'Il vous fit ce don ? N'est-Il plus votre Père ? Et un Père, tel que Lui, abandonne-t-il ses enfants ? Le guide que vous regrettez vous a, il est vrai, heureusement conduit dans les chemins que vous avez parcourus. Mais, était-il également propre à vous diriger dans le trajet à parcourir encore pour parvenir où vous êtes appelé ? Jésus-Christ, notre Divin Maître, a dit de lui-même à ses apôtres : il vous est avantageux que Je m'en aille, car, si Je ne m'en vais pas, le Consolateur ne viendra point à vous ; mais, si Je m'en vais, Je vous l'enverrai. Cela étant, qui oserait dire qu'il ne lui est point avantageux d'être privé d'un directeur, d'un ami, quelque excellent, quelque saint même qu'il puisse être ? - Mais, sais-je, me répondrez-vous, si ce n'est point un châtiment que mes infidélités m'ont attiré ? - Je le suppose. Eh bien ! sachez que les châtiments d'un père deviennent, pour les enfants dociles, des remèdes salutaires. Voulez-vous donc désarmer le bras de votre Père céleste, toucher son Cœur, l'obliger même à vous combler de nouvelles grâces ? Acceptez son châtiment, et pour prix de votre confiant abandon à sa Volonté où Il suscitera quelqu'un qui vous fera tout autrement avancer que vous n'avez fait jusqu'ici, ou ce Dieu de Bonté daignera lui-même se charger de votre conduite : Il vous enverra son Esprit-Saint comme à ses apôtres, sa lumière éclairera vos pas et l'onction de sa Grâce vous fortifiera admirablement. Autre exemple. Votre vie est toute consacrée à la piété, par des exercices qui sont comme la nourriture de votre âme. Mais une maladie vient rompre la chaîne des pieuses pratiques que vous vous étiez imposées ; déjà vous ne pouvez plus assister à la Sainte Messe, même le jour du dimanche ; vous êtes privé de l'aliment Sacré de la Communion et bientôt votre état de faiblesse vous interdira jusqu'à la prière. Âme pieuse, ne vous plaignez pas. Vous êtes appelée à l'honneur d'alimenter votre âme en participant, avec Jésus-Christ même, à une nourriture que, peut-être, vous ne connaissez pas, mais dont l'usage fera de votre maladie un puissant moyen de sanctification. Ma nourriture, disait-il à ses disciples, est de faire la Volonté de Celui qui m'a envoyé. C'est cette même nourriture qui vous est présentée. Et, remarquez-le, ce n'est que par elle qu'il nous est donné de vivre pour la vie éternelle. La prière même est inefficace, si elle n'est vivifiée par ce salutaire aliment, ainsi dans ce passage du Saint Évangile : tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur ! n'entreront pas dans le Royaume des Cieux ; mais celui-là y entrera qui fait la Volonté de mon Père. Or, vous le savez, c'est Dieu qui vous réduit à l'état où vous êtes ; c'est donc Lui qui vous dispense de vos pratiques de piété ou plutôt qui vous les interdit. Ainsi ne vous inquiétez pas, mais prenez garde qu'Il attend de vous, en échange, que vous vous exerciez davantage à faire sa Volonté, en renonçant à la vôtre; et c'est afin que vous fassiez de cet exercice votre principale nourriture, que le moyen d'en user vous est si fréquemment donné. En effet, que de contrariétés, que de sacrifices la maladie ne vous impose-t-elle pas ! Ce sont des projets qu'elle dérange, des dépenses qu'elle occasionne, des remèdes qui répugnent, des maladresses, des négligences de la part de ceux qui vous soignent, c'est enfin une multitude de petites choses qui vous blessent. Que d'occasions pour vous de dire : c'est Dieu qui le Veut ainsi, que sa Sainte Volonté soit faite ! Mettez donc vos soins à ne laisser échapper aucune de ces occasions et vous serez alors au rang des âmes les plus chères à Jésus : car quiconque, a-t-Il dit, fait la Volonté de mon Père qui est aux Cieux, celui-là est mon frère, et ma soeur, et ma mère. Autre exemple encore. Une de nos grandes solennités approche ; vous vous y disposez de votre mieux et déjà vous vous sentez animé d'une ferveur qui vous semble un avant-goût des consolations que vous recueillerez en ce beau jour. Cependant, ce jour arrive et voilà que vous n'êtes plus le même : aux sentiments que vous éprouviez a succédé une désolante sécheresse ; vous êtes incapable de produire une seule bonne pensée. Gardez-vous de vous livrer à des efforts inquiets pour en sortir. C'est Dieu lui-même qui vous y a mis et vous savez que de sa part il ne vient rien qui ne soit bon et qui ne produise à quiconque le reçoit avec soumission, de grands avantages. Acceptez donc votre situation de sa main, vous tenant autant que possible dans le recueillement en sa présence et vous soumettant à Lui, comme un malade se tient devant son médecin et se soumet à son action, dans l'attente de la guérison qu'il espère de ses soins. Et soyez assuré que jamais consolation ne vous aura été aussi profitable que cette sécheresse ainsi endurée paisiblement en esprit de conformité à la Volonté Divine. Ce n'est point, en effet, ce que nous ressentons qui nous dispose aux grâces de Dieu ; ce qui nous y dispose est l'acte de notre volonté et cet acte ne se sent pas. Il peut bien être accompagné de quelque chose de sensible ; mais ce sentiment n'ajoute rien à son mérite. Aux yeux de Dieu, l'absence de ce sentiment ou même la présence de sentiments opposés que l'on désavoue, ne lui ôte rien. Ainsi, pénétrez-vous de cette vérité que la prière n'a pas besoin d'être sentie pour être efficace, qu'elle consiste uniquement dans le mouvement de la volonté vers Dieu, mouvement qui de sa nature n'a rien de sensible. J'ajoute qu'il en est de même de l'opération de Dieu sur notre âme. On peut la comparer aux effets que produit en nous la nourriture corporelle : de même que la vertu de cet aliment terrestre se répand, comme à notre insu, dans nos membres, pour les réparer et les fortifier, aucune sensation ne nous avertissant de son écoulement salutaire ; de même aussi Jésus-Christ, l'aliment céleste qui nous est donné pour nourriture spirituelle, opère-t-il secrètement sur nos âmes. Mais le malheur est que l'on veut tout sentir. Des que l'on n'éprouve rien de sensible, rien qui satisfasse, ou bien l'on se décourage ou bien l'on cherche, par beaucoup de prières, produites avec grande contention d'esprit, avec de pénibles efforts à exprimer en soi-même quelque chose qui rassure ; et ces efforts, loin de mieux disposer à l'opération de la grâce, y mettent obstacle en ce qu'ils occupent ou agitent trop notre intérieur. On rapporte que Sainte-Catherine de Sienne ayant un jour demandé à Notre-Seigneur, qui se communiquait avec tant d'abondance aux patriarches, aux prophètes et aux premiers chrétiens, pourquoi ces divines communications étaient beaucoup plus rares de son temps, Notre-Seigneur lui répondit que c'était parce que ces grands serviteurs de Dieu, désoccupés et vides de l'estime d'eux-mêmes, venaient à Lui comme des disciples fidèles, se tenant dans l'attente de ses Divines inspirations, se laissant mettre en œuvre comme l'or dans le creuset ou peindre de sa main comme une toile bien préparée et lui laissant écrire dans leur cœur sa loi d'Amour ; tandis que les chrétiens de son époque agissant comme s'Il ne les voyait ni ne les entendait, voulaient tout faire et parler tout seuls et se tenaient ainsi tellement occupés et agités, qu'ils ne Le laissaient pas opérer en eux. Remarquez que ce Divin Sauveur avait déjà voulu nous prémunir contre un tel excès dans son Saint Évangile. Il y est dit : quand vous prierez, n'affectez point de parler beaucoup, comme font les païens qui s'imaginent qu'à force de parler ils seront exaucés. Ne leur ressemblez donc pas en cela ; car votre Père Céleste sait de quoi vous avez besoin, avant que vous ouvriez la bouche pour le lui demander.

11) Dans les suites de nos péchés : nous devons souffrir, avec soumission et conformité à la Volonté de Dieu, les peines que nos chutes dans le péché entraînent souvent à leur suite. C'est, par exemple, un excès d'intempérance qui vous occasionne une indisposition ou même un dérangement plus grave dans votre santé ; ce sont des dépenses excessives, déraisonnables, faites peut-être dans un esprit de folle vanité, qui vous obligent maintenant à vivre de sacrifices ; c'est la négligence des devoirs de votre état, ce sont vos indiscrétions, vos médisances, vos impatiences, vos emportements ; c'est votre mauvais caractère enfin, qui vous attire des désagréments, des préjudices dans vos intérêts, des mortifications, des humiliations ; c'est une longue et déplorable habitude de pécher qui vous rend si difficile maintenant la pratique de la vertu et si pénible la résistance aux nombreuses tentations dont vous êtes assailli. Tout cela vous jette dans des préoccupations d'esprit, des troubles, des scrupules, de vives anxiétés qui vous accablent et dont vous ne pouvez vous défendre. Dieu, certes, n'a point voulu vos péchés ; mais, les péchés étant commis, Dieu veut, pour votre bien, qu'ils soient suivis de ces châtiments. Acceptez-les donc de sa main et croyez qu'il n'y a rien de plus propre que cette humble acceptation pour vous aider à rentrer dans ses grâces. Alors, bien loin de vous porter préjudice, vos chutes seront comme un monument de votre persévérance dans le service de Dieu et leur témoignage sera d'autant plus glorieux qu'elles auront été plus multipliées. Je vais, par une supposition, rendre cette vérité sensible. Vous entreprenez à pied le voyage de Rome ; mais, par l'effet des mauvais chemins, de la faiblesse de votre vue, de la débilité de votre constitution ou peut-être d'une fâcheuse habitude d'inattention, vous tombez presque à chaque pas. Néanmoins, vous ne vous découragez point, vous vous relevez sans délai ; au lieu de perdre votre temps en des réflexions inquiètes, vous reprenez votre route, résolu d'arriver à Rome quoi qu'il en coûte ; et, en effet, vous y arrivez. Or, n'est-il pas vrai que plus vous avez rencontré d'obstacles et fait de chutes, plus grande, plus héroïque a été votre persévérance ? Il en est ainsi dans le service de Dieu.

12) Dans les peines intérieures : nous devons nous conformer à la Volonté de Dieu dans les peines intérieures, c'est-à-dire dans les tentations, les obscurités, les troubles, les scrupules, les aridités, les désolations et toutes les difficultés que l'on rencontre dans la vie spirituelle. En effet, à quelque cause secondaire qu'on les attribue, toujours faut-il remonter à Dieu, comme à leur premier auteur. Si nous supposons que ces peines viennent de notre propre fonds, il sera vrai de dire alors qu'elles prennent leur source ou dans l'ignorance de notre esprit, ou dans la sensibilité de notre cœur, ou dans le dérèglement de notre imagination, ou enfin dans la perversité de nos penchants. Mais si nous remontons plus haut, si nous cherchons d'où viennent ces défauts eux-mêmes, où trouverons-nous le principe si ce n'est dans la Volonté de Dieu, qui n'a pas doué notre être de plus de perfection et qui, en nous rendant sujets à ces infirmités, nous fait un devoir, pour notre sanctification, d'en supporter avec soumission toutes les suites, jusqu'à ce qu'il lui plaise d'y mettre un terme ? Dès qu'il jugera à propos de faire briller à notre entendement un rayon de lumière, de verser dans notre cœur une goutte de la rosée de sa Grâce, aussitôt nous serons éclairés, fortifiés et consolés. Si l'on suppose que ces peines viennent du démon, il ne faudra pas moins les attribuer à Dieu. L'histoire de Job n'est-elle pas là pour prouver que Satan ne saurait agir sur nous, si Dieu ne lui en donne le pouvoir ? Lorsque Saül était en proie à des tentations de jalousie, d'aversion et de haine contre David, les Livres Saints nous disent que l'esprit mauvais de Dieu avait envahi Saül. Mais si cet esprit est de Dieu, comment donc est-il mauvais ? Et s'il est mauvais, comment peut-il être de Dieu ? Il est mauvais, à cause de la volonté maligne et dépravée que le démon a d'affliger les hommes pour les perdre, et il est de Dieu, parce que Dieu lui a permis de les affliger, dans le dessein qu'Il a de les sauver. Il y a plus. Les principes de la foi et les enseignements des Saints nous apprennent que souvent Dieu soustrait lui-même, par son action immédiate, ces lumières, ces douces influences de la grâce qui font la joie et la force des âmes, et qu'il les soustrait pour les fins les plus dignes de sa Sagesse et de sa Bonté. Combien de personnes tièdes et négligentes dans l'accomplissement de leurs devoirs, réveillées par les troubles qui suivent les délaissements, y ont retrouvé la ferveur qu'elles avaient perdue ? Combien d'autres, à qui les peines intérieures ont procuré l'occasion et le moyen de pratiquer les plus hautes vertus ! Qui pourrait dire, en particulier, à quel degré d'héroïsme elles ont porté les vertus d'un Saint-Ignace, d'une Sainte-Thérèse, d'un Saint-François de Sales ? Conduite adorable d'une Providence infiniment attentive au bien de ses enfants, qui fait semblant de les abandonner, pour tirer les uns de l'assoupissement et développer dans les autres l'esprit d'humilité, de défiance de soi-même, de renoncement à tout, de confiance en Dieu, d'abandon à ses Volontés, de persévérante prière. Ainsi, au lieu de nous laisser gagner par la pusillanimité et le découragement, dans les peines dont nous sommes parfois comme accablés, conduisons-nous de la même manière que dans les maladies corporelles, consultant un médecin habile, un bon directeur, appliquant les remèdes qu'il conseille et attendant avec patience l'effet qu'il plaira à Dieu de leur donner. Il connaissait le prix des peines intérieures ce Saint homme, dont parle Louis de Blois, qui n'éprouvait que des tentations, des sécheresses et des amertumes continuelles. Un jour que, pressuré d'angoisses, il pleurait amèrement, des anges lui apparurent pour le consoler ; mais lui, refusant la consolation offerte, dit aux anges qui l'apportaient : « Je ne demande aucun soulagement ; il me suffit, pour toute consolation, que la Volonté de Dieu s'accomplisse en moi ». Au rapport du même auteur, Sainte-Brigitte étant un jour dans un grand accablement d'esprit, Jésus-Christ lui apparut et lui demanda le sujet de son affliction. Sur sa réponse qu'elle était tourmentée d'une infinité de mauvaises pensées qui lui faisaient redouter ses jugements, le Divin Maître lui dit ces paroles : « il est juste que, vous étant plue aux vanités du monde contre ma Volonté, vous soyez maintenant, contre la vôtre, inquiétée de plusieurs pensées vaines et méchantes ; et quant à mes Jugements, il est bon aussi que vous les craigniez, mais il faut que ce soit avec une ferme confiance en Moi, qui suis votre Dieu. Vous devez, au surplus, tenir pour constant, que les mauvaises pensées auxquelles on résiste, autant qu'on le peut, sont le purgatoire de l'âme en ce monde et le sujet de sa récompense dans le Ciel. Que si vous ne pouvez les chasser, contentez-vous de les désavouer, puis souffrez avec patience leur importunité ». Lorsque des personnes affligées de peines d'esprit s'adressaient au grand théologien Taulère, selon ce qu'il raconte lui-même, pour lui confier leurs tourments : - « tout va bien pour vous, leur disait-il, les choses mêmes dont vous vous plaignez sont une Grâce que Dieu vous fait ». À ceux qui lui exprimaient la crainte que ces peines ne leur fussent envoyées qu'en punition de leurs péchés, il répondait : « que ce soit ou non pour vos péchés, croyez que cette croix vous vient de Dieu ; ainsi embrassez-la en lui rendant grâce et en vous résignant tout à fait entre ses mains ». Se plaignait-on de se sentir intérieurement consumé de sécheresse, d'ennui, de dégoût : « souffrez avec patience - disait-il enfin - et vous recevrez plus de grâces que si vous ressentiez en vous les mouvements d'une dévotion tendre et fervente ».

13) Dans les vertus et les faveurs spirituelles : enfin, et c'est peut-être le point le plus délicat qu'il y ait dans la pratique de la conformité à la Volonté Divine, nous devons ne vouloir les vertus elles-mêmes, les degrés de grâce et de gloire que selon la mesure où Dieu Veut nous les donner et n'en pas désirer davantage. Toute notre ambition doit être de parvenir, par notre fidélité, au degré de perfection qui nous est destiné, n'étant pas accordé à tous de pouvoir s'élever au même point. En effet, quelle que puisse être notre correspondance aux grâces que nous recevons de Dieu, nous n'aurons jamais, cela est bien certain, autant d'humilité, de charité, etc., qu'en a eu la Très Sainte-Vierge. Et qui osera même se flatter de parvenir au degré de grâce et de gloire où sont parvenus les Apôtres ? Qui pourra égaler Saint Jean-Baptiste, de qui Notre-Seigneur a dit qu'il est le plus grand des enfants des hommes ? Qui donc atteindra jamais à la Sainteté du glorieux Saint-Joseph ? Nous devons, en cela comme en toute autre chose, nous soumettre à la Volonté de Dieu. Il faut qu'Il puisse dire de nous ce qu'Il dit dans Isaïe : Ma volonté est en lui ; elle y règne et gouverne tout. Ainsi, quand nous entendons dire ou quand nous lisons que Notre-Seigneur a élevé, en peu de temps, certaines âmes à une très haute perfection, qu'Il leur a accordé des faveurs signalées, qu'Il a communiqué à leur intelligence des lumières étonnantes, qu'Il a rempli leur cœur de très grands sentiments de piété et de ferveur, il faut que nous réprimions les désirs de choses semblables qui pourraient s'élever dans notre esprit, au préjudice du pur amour de conformité. Il faut même nous unir plus intimement encore à cette tout aimable Volonté de Dieu, et lui dire : Mon Seigneur, je Vous loue et Vous bénis de ce que Vous daignez Vous communiquer avec tant d'Amour et de familiarité à ces âmes que Vous avez choisies. L'honneur que Vous leur faites est au-dessus de toute l'estime que l'on peut en avoir. Mais je fais plus de cas encore de l'accomplissement de Votre Volonté, que de toutes les lumières, de tous les sentiments et de toutes les faveurs que Vous avez accordés à Vos Saints. Aussi, la seule faveur que je Vous supplie de me faire, c'est que je n'aie plus, en quoi que ce soit, de volonté propre ; mais que ma volonté soit entièrement fondue et anéantie dans la Vôtre. Que chacun donc Vous fasse les demandes qu'il voudra ; pour moi, mon unique demande est qu'il Vous plaise de m'attacher inséparablement à Votre conduite et de me rendre un pur instrument de Votre Gloire, dans la parfaite exécution de Vos desseins. Faites de moi, en moi et par moi, sans aucune résistance dans le temps, dans l'éternité, tout ce que vous Voudrez.

 

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